Le patrimoine culturel préhispanique et colonial d’Amérique latine, aussi vaste que précieux, court un grand danger. De nombreux objets ont été pillés et exportés illicitement ; les sites archéologiques d’où ils proviennent ont subi des dommages irréparables. Il est impératif d’endiguer ce phénomène qui menace de détruire le patrimoine culturel d’Amérique latine. La Liste rouge est conçue, d’une part, comme un appel lancé aux acheteurs potentiels afin qu’ils n’acquièrent pas ces objets et, d’autre part, comme un instrument mis au service de ceux qui s’efforcent de protéger les trésors les plus précieux d’Amérique latine.

Un patrimoine en danger

Les civilisations précolombiennes, à l’instar des Maya et des Inca, nous ont légué un patrimoine culturel composé de monuments, de stèles, de sépultures et d’une large gamme d’objets, dont des vases, des pendentifs en jade, des textiles et des pièces en or, provenant de toute l’Amérique latine. Ce riche patrimoine, qui a subi des dommages irréparables, est en danger.

Dès les années 1960, le pillage des sites archéologiques en Amérique centrale et dans la région des Andes a atteint des proportions alarmantes et s’est traduit par la perte irrémédiable de trésors cachés. A l’époque, les raisons de ce drame étaient variées : découvertes fortuites par les habitants de la région, négligences, excursions touristiques et urbanisme. Aujourd’hui la destruction du patrimoine est de plus en plus le fait de réseaux criminels organisés qui financent les recherches des populations locales.

Les zones ciblées sont éloignées, peu peuplées, hors du champ d’action de la police. Les travaux ont généralement lieu de nuit. Les moyens utilisés sont les haches, les tracteurs et les explosifs (pour accéder aux sépultures ou creuser un tunnel dans les ruines archéologiques). Le pillage détruit ou saccage les lieux où se trouvent les objets et nuit de ce fait à la reconstitution du contexte de la découverte, qui est essentiel à la compréhension des sites archéologiques. Ces lieux sont souvent la seule source d’informations sur des périodes historiques spécifiques. Les objets victimes du pillage peuvent être de petite taille, facilement transportables, mais également de grandes sculptures en pierre, découpées en plusieurs blocs.

 

Les trésors coloniaux d’Amérique latine sont exposés au pillage. Les églises, les monastères et d’autres monuments d’Amérique latine accueillent de nombreux tableaux, sculptures et objets liturgiques de grande valeur. Ces objets sont de plus en plus recherchés en Europe et en Amérique du nord. Les vols dans les monuments et les musées sont le fait dans la plupart des cas de réseaux criminels internationaux.

 

Les objets précolombiens et coloniaux sont indispensables pour connaître l’histoire, les croyances traditionnelles et la religion du continent latino-américain. Ils constituent une mémoire collective et un patrimoine commun qui doivent faire l’objet du plus grand respect. Ils font partie de l’identité de l’Amérique latine. Chaque nouvel objet pillé est un pas en arrière dans notre connaissance de l’histoire de l’humanité.

 

La Liste rouge des biens culturels d’Amérique latine en danger est un des instruments dont nous disposons pour lutter contre le trafic illicite d’œuvres d’art et d’antiquités. Elle identifie les catégories d’objets précolombiens et coloniaux (à l’échelle du continent latino-américain) qui sont les plus pillées et que l’on trouve le plus souvent dans les salles de ventes ou sur le marché noir. Toutes ces catégories d’objets sont protégées par les législations nationales et leur exportation est expressément interdite. Elles ne peuvent en aucune circonstance être mises en vente.

Inciter les musées, les salles de ventes, les marchands d’art et les collectionneurs à ne plus acheter ces objets

 

La Liste rouge constitue un plaidoyer pour inciter les musées, les salles de ventes, les marchands d’art et les collectionneurs à ne plus acheter ces objets. Elle est également conçue comme un outil de vérification à l’intention des services de police et de douane, ainsi que des marchands d’art. Elle n’est en aucun cas exhaustive. Le fait qu’un objet ne soit pas mentionné dans la Liste rouge ne signifie pas que sa commercialisation soit autorisée.

 

La Liste rouge des biens archéologiques africains en péril a été publiée en 2000. Sa répercussion dans les moyens de communication a découragé les acheteurs potentiels, qui se sont montrés réticents à acquérir les catégories d’objets décrites dans la liste. Certains objets ont d’ailleurs été restitués à leur pays d’origine. Début 2003, la guerre contre l’Irak a suscité la publication de la Liste rouge d’urgence des antiquités irakiennes en péril, dont le but est de lutter contre le pillage des musées et des sites archéologiques de ce pays.

Pillage d’objets précolombiens, quelques faits et chiffres

Chaque année, 800 millions de dollars d’objets précolombiens quittent clandestinement le Pérou. La faiblesse de la réglementation encourage ce trafic. Par exemple, une plaque en or provenant de l’armure d’un guerrier trouvée dans les tombeaux de l’ »homme de Sipán » – et confisquée le 7 octobre dernier par des agents du FBI – a été vendue 1,6 million de dollars au marché noir.

 

On estime que 80 % des sites archéologiques connus dans la péninsule du Yucatán ont été pillés. Les vases polychromes mayas, les pendentifs en jade et les reliefs des stèles ou d’autres monuments sont les objets les plus prisés. Lors de leurs recherches, les pilleurs n’ont pas hésité à détruire des monuments et des tombes au Mexique, au Belize, au Guatemala et au Honduras, empêchant ainsi toute reconstitution historique.

 

Les masques de Teotihuacán sont un autre exemple des proportions alarmantes atteintes par le pillage en Amérique latine. Il en existe des centaines mais seuls quatre ont été découverts lors de fouilles scientifiques. Les autres ont été mis à jour de façon clandestine. La situation est d’autant plus critique que la plupart des masques se trouvent dans des collections privées et apparaissent régulièrement dans les catalogues d’art précolombien des salles de ventes. De nombreuses figurines olmèques sont elles aussi pillées et exportées illicitement.

 

L’état de Nayarit, au Mexique, est particulièrement affecté par le pillage. Les figurines Nayarit en terre cuite étant très demandées sur le marché des objets d’art, 90 % des exemplaires connus sont issus de fouilles clandestines. Dans certains cas, ces pièces ont été découvertes de manière fortuite dans des champs consacrés à l’agriculture ou à l’élevage qu’il est impossible de réglementer, ce qui rend d’autant plus difficile leur surveillance et leur récupération.

 

-La situation est semblable dans la région amazonienne, où l’inaccessibilité des sites et la quasi-impossibilité de les protéger favorisent le pillage et le trafic illicite des urnes, qui sont particulièrement appréciées en raison de leur rareté.

 

La fréquence des pillages de tombes en Equateur et en Colombie est également due à l’isolement géographique des sites archéologiques et à la difficulté de mettre en place des mesures de sécurité. Les figurines et les vases Jama Coaque, découverts en grand nombre, sont très populaires sur le marché de l’art. Pour leur part, les objets en métal, tels que les masques Tumaco-Tolita sont très prisés en raison de leur rareté et de leur grande valeur.

Plusieurs incidents ont eu lieu, dont deux vols au Museo Carlos Zevallos Menéndez (Guayaquil, Equateur) en 1979 et en 1987-88. Lors de ce dernier pillage, les voleurs ont provoqué un incendie dans le musée même afin de créer une diversion. De nombreuses pièces ont ainsi été détruites ou dérobées et n’ont jamais été récupérées.

 

Les pendentifs aigle en or, entre autres pièces d’orfèvrerie du Costa Rica et du Panama, connaissent le même sort. En février 2003, une grande partie de la collection des œuvres en or et en argent du Museo Antropológico Reina Torres de Araúz (ville de Panama) a été dérobée. La plupart des pièces, datant de 400 à 1500 apr. J.C. ont été récupérées en mai 2003. Mais d’autres n’ont pas encore été trouvées. Les pierres à meuler ajourées et les pendentifs en jade sont d’autres objets fréquemment pillés en Amérique centrale.

 

S’il est plus facile d’exporter illicitement des objets de petite taille, les sculptures aux grandes dimensions, en principe plus difficiles à transporter, ne sont pas à l’abri des vols ni du trafic illicite. En Colombie, les statues de San Agustín, sont découpées en morceaux transportables. Au cours des 15 dernières années, 17 vols de statues ont été déclarés. La situation est semblable dans la région du Petén (Guatemala) où les pilleurs découpent les stèles mayas pour pouvoir les transporter.

 

Certaines régions du Pérou ressemblent à des paysages lunaires parsemés de cratères. Il s’agit en fait de cimetières anciens pillés par les  » huaqueros  » (pilleurs de tombes) à la recherche de textiles, de tissages de plumes, d’objets en céramique, tels que des vases Moche (dont le prix sur le marché est très élevé), des Keros incas ou des rames sculptées Chimú et Chincha. Le pillage le plus célèbre est celui où des pièces archéologiques appartenant à la civilisation Moche (200-700 apr. J.C.), ont été dérobées dans des sépultures à Sipán (côte nord du Pérou).

 

Plus au sud, au Chili, en Argentine et en Bolivie, les plateaux à hallucinogènes font également l’objet de pillages.

Tous ces vols ont eu lieu malgré les législations nationales interdisant l’achat et l’exportation de ces objets qui font partie du patrimoine culturel d’Amérique latine.

Pillage d’objets coloniaux, quelques faits et chiffres

Les objets coloniaux d’Amérique latine sont extrêmement cotisés sur le marché de l’art. Ils reflètent le métissage artistique, religieux et technique qui eut lieu entre les Européens et les populations indigènes pendant la période coloniale. Ces objets possèdent souvent des caractéristiques (style et composition) originales.

 

D’après les autorités ecclésiastiques, 10 % des églises péruviennes ont récemment subies des vols. Les services de douane ont confisqué 42 objets religieux de grande valeur dans le port du Callao (Pérou). Le butin comprenait des tableaux religieux aux cadres dorés, deux toiles, des couverts plaqués or, des meubles coloniaux, des ciboires eucharistiques et un crucifix en ivoire. Les objets, tous originaux et datant du XVIIe au XIXe siècle, avaient été volés dans des églises de Cuzco et de Puno et avaient pour destination finale Montevideo (Uruguay).

 

Au Guatemala, les vols dans les églises et les couvents sont passés de 39 en 1996 à 125 en 2000. La police n’a pu récupérer que 29 des 255 objets dérobés au cours des trente derniers mois.

 

De nombreuses œuvres d’art sont toujours utilisées de nos jours dans les rites catholiques et se trouvent de ce fait dans les églises et les processions. C’est le cas des Christ en ivoire ou en pâte de tige de maïs originaires du Mexique et de la plupart des sculptures et des vases se trouvant dans les églises. Le pillage détruit des témoignages historiques irremplaçables, des œuvres d’art précieuses et les traditions des communautés.

 

Lors de la préparation de la publication de la Liste rouge, l’ICOM a appris le vol, dans la nuit du 18 au 19 février 2003, de deux sculptures coloniales appartenant au Templo Parroquial del Conjunto Misionero de los Santos Cosme y Damián (province de Misiones, Paraguay).

 

En Argentine, le 8 janvier 2003, deux chandeliers du début du XIXe siècle et plusieurs assiettes votives en argent et en bronze ont été dérobés dans l’église du convento de las Hijas del Divino Salvador à Buenos Aires. En février 2002, un autre vol avait eut lieu dans cette église et s’était soldé par la disparition de reliques, de sabres et d’épées extrêmement précieux.

 

Le vol est aggravé par la destruction des œuvres d’art. En effet, les pilleurs détachent les toiles de leur châssis pour les enrouler ou découpent en morceaux les parements d’autel (panneaux en argent ouvragé recouvrant les autels) afin de vendre les pièces séparément.