Qui étaient les Moche ?

Cette civilisation féodale et raffinée s’ancre dans les 800 premiers siècles de notre ère, le long de la côte nord du Pérou. Le nom qu’on lui a donné provient de la petite vallée où coule la rivière Moche, et où on a découvert les sites les plus significatifs. Mais la petitesse de la vallée ne rend pas justice au territoire couvert par ce peuple et à l’immensité de ses réalisations. Sur un territoire long de plus de 400 kilomètres, incluant la province de Lambayeque où l’on a mis à jour le Señor de Sipán (voir texte principal), les monticules gigantesques de terre surgissent dans les champs, les plaines et même à l’orée des villes actuelles. De nombreux centres urbains étaient fortement peuplés. Les pyramides de la Pampa Grande, de la province de Lambayeque, rassemblaient une population que l’on estime à 10 000 personnes. En marge des temples et du centre administratif, des habitations simples et aérées constituaient de gros villages. Les Moche possédaient un vaste réseau routier et une riche agriculture. Ils ont su transformer la terre aride de la côte nord péruvienne en un vert royaume grâce à de vastes réseaux d’irrigation. Leur fertile agriculture se composait de maïs, d’haricots, d’avocats, de piments et même des cacahouètes. Cette diète se diversifiait avec des produits de la mer (crabes, mollusques, crevettes, poissons) et de la viande (lamas, canards, cochons d’inde, etc.) Cette civilisation maîtrisait la métallurgie, l’orfèvrerie et la céramique. En l’absence d’écriture, les vases portraits témoignent de la vie quotidienne mais surtout des cérémonies religieuses. En trois dimensions, ils donnent à voir de manière très réaliste les guerriers au combat, les prêtres officiant, les esclaves au travail, jusqu’à la torture de prisonniers ou à une sexualité débridée. Et les artisans les produisaient « à la chaîne » en recourant à des moules. Les joyaux et les objets funéraires en métal précieux et pierreries témoignent d’une brillante maîtrise. Les Moche ont mis au point une technique électrochimique de plaquage de l’or sur différents métaux. Cette innovation, utilisant des minéraux corrosifs en solution, offre le même résultat que le système par électrolyse qui ne sera inventé, en Europe, qu’au 18e siècle. Mais en dépit de ces innovations technologiques et son raffinement, cette civilisation a disparu, il y a plus de mille ans, sans qu’on sache pourquoi. Deux siècles de décadence et d’innombrables catastrophes naturelles (tremblements de terre, tempêtes de sable, etc.) pourraient avoir eu raison d’une culture qui ne finit plus d’étonner les archéologues.

source : Science Presse – septembre 2005 – Isabelle Burgun.]

Mochicas : le mystère des sacrifices

es analyses génétiques ont tranché. Les Moches, ou Mochicas, qui ont érigé une civilisation brillante en Amérique du Sud il y a 1500 ans, sacrifiaient bel et bien d’autres Moches…

mais pas les leurs ! On connaît fort peu de choses d’eux, en dépit de leurs talents artistiques indéniables (céramiques), de leur parfaite maîtrise métallurgique (réalisation d’alliages utilisés pour produire des bijoux, des armes ou des outils), et des techniques d’irrigation si ingénieuses que les légumes poussaient à volonté dans des vallées pourtant sèches. Cette civilisation brillante a régné au nord-ouest du Pérou entre le IIe et le VIIIe siècle après J.-C, soit longtemps avant les Incas -au point où plusieurs historiens voient dans ces derniers des héritiers des Moches. Un peuple hautement civilisé. Mais qui vénérait un dieu au nom qui fait froid dans le dos, Ai Apaec le coupeur de tête ! Humiliés, pelés vivants, décapités, démembrés, vidés dans un bain de sang ou abandonnés à l’appétit vorace des vautours, tel était le destin de ceux qui étaient choisis pour le sacrifice.

Les scènes de tortures décrites sur les poteries et les fresques murales sont si violentes que certains experts pensèrent d’abord qu’il s’agissait d’une ruse pour dissuader d’éventuels ennemis. Mais les analyses réalisées sur les squelettes ont prouvé que les sanglantes tortures étaient bien réelles. Restait donc à savoir qui étaient ces victimes : des ennemis capturés ? Ou, à l’inverse, l’élite locale, ce que laisserait supposer les représentations de combattants Moches vêtus de façon somptueuse, où l’un triomphe sur l’autre sans l’achever. Le sacrifice serait, dans cette hypothèse, l’aboutissement d’un combat rituel destiné à honorer les dieux. Fin du suspense grâce aux révélations publiées récemment dans la revue Current Anthropology par Richard Sutter et Rosa Cortez de l’Université de Chicago. En comparant principalement les racines dentaires – un caractère physique fortement influencé par la génétique – des autres populations de la côte Nord du Pérou avec celles d’ossements retrouvés dans une pyramide de la capitale Moche (ainsi que d’autres caractéristiques du squelette pour confirmation), les chercheurs ont conclu que les victimes étaient bel et bien des Moches mais venus de vallées voisines. Des victimes de conflits locaux et territoriaux ?

 

La civilisation oubliée des Mochica, le mausolée d’or

Célébrité péruvienne depuis sa découverte en 1987, le Señor de Sipán possède depuis peu un nouveau mausolée : le musée de Tumbas reales de Sipán héberge les fabuleux trésors de la civilisation Moche, appelée également Mochica. Une civilisation raffinée, occultée par la renommée des Incas, mais à laquelle les Incas doivent sans doute beaucoup. Arraché aux griffes de pilleurs de tombes, plus intéressés par ses bijoux que par sa valeur historique, le Señor de Sipán reposait dans l’une des pyramides tronquées du site archéologique de Sipán, au cœur de la région dont il était le gouverneur. Ses trésors d’or et d’argent témoignent de la gloire qu’il connaissait déjà de son vivant. Il était honoré comme un demi-dieu… il y a 1700 ans ! Ce gouverneur présente pourtant de modestes proportions pour nous –1 mètre 67. Et il avait moins de 40 ans lorsqu’il est mort. Mais sa demeure funéraire impose par son faste et la richesse de ce dont elle témoigne sur cette culture. Plus de 400 joyaux d’or, d’argent et de pierreries sont actuellement conservés dans les vitrines blindées du musée ! Aux environs de l’an 300, le Señor de Sipán gouvernait le règne Moche. Et si l’on se fie aux différents objets empreints de symbolisme de sa tombe, il occupait la plus haute place dans la structure sociale et politique de son temps. Il présidait ainsi toutes les cérémonies sacrées. L’analyse du squelette a confirmé son statut privilégié : une bonne santé, malgré des signes d’arthrite. Une absence de travail physique et une diète spéciale. Différents musées du Pérou possèdent une réplique de la tombe du Señor de Sipán, tel celui du Musée de la Nation à Lima. Le musée de Lambayeque, inauguré par le président Alejandro Tolédo en août 2002, s’avère pourtant le lieu de la véritable rencontre. Triple rencontre, car on y découvre aussi le Sacerdote, personnage religieux central de la culture Moche et le vieux Señor de Sipán, au faste comparable à celui de son descendant.

Le seigneur du nord

À l’intérieur, tout commence par une courte présentation multimédia reproduisant la cérémonie funéraire. À grand renfort de musique, le cortège offre une première vision de l’habillement et du décorum des Moche. Pour nous familiariser un peu plus avec cette culture préhispanique, qui a fleuri pendant les huit premiers siècles de notre ère le long de la côte nord du Pérou, cette première salle offre un tour d’horizon autour de la céramique, les bijoux et l’iconographie des Moche. À mesure qu’on s’enfonce dans ce mausolée moderne, on se rapproche de la tombe du Señor de Sipán, telle qu’elle a été découverte par l’archéologue péruvien Walter Alva en 1987. Au fil des trois étages, du haut vers le bas, se dévoilent les trésors emprisonnés dans les vitrines : boucles d’oreilles circulaires d’or et de turquoise, bijoux de narines d’or et de platine, colliers pectoraux de perles de coquillages, casques d’argent, couteaux et lances de cuivre, étendards de cuivre doré sur toile, ornements de platine, qui témoignent du haut degré de maîtrise de l’orfèvrerie et de la métallurgie qu’avait atteint ce peuple, un millier d’années avant les Incas. Les Moche sont également réputés pour leur maîtrise de la céramique, comme le montrent les centaines de pièces anthropomorphiques retrouvées dans les tombes. En trois dimensions, cette production « naturaliste » témoigne, en l’absence d’écriture, de scènes quotidiennes et de rituels religieux. Les vases portraits, en rouge et jaune, représentent ainsi de manière très expressive des personnages, des animaux, des plantes et même des aliments.

 

Des artistes hors pair

Le clou du musée reste la reconstitution de la tombe du Señor de Sipán. Garni de ses biens et de provisions pour le voyage, le gouverneur est enterré la tête au sud et son visage se dissimule sous des bijoux d’or, couvrant principalement ses yeux et sa bouche. Autour de sa dépouille reposent les corps de deux femmes, de gardiens, d’un enfant –que l’on présume être son fils– de deux lamas et même un chien. Le long d’un mur, des vitrines exposent les découvertes réalisées dans une autre tombe, celle du Sacerdote. Ce personnage central de la culture Moche officiait les cérémonies religieuses et sacrées. Il porte lui aussi de riches atours dont une couronne symbolisant son statut, où figurent une chouette avec les ailes ouvertes et une coupe des sacrifices. Dans une autre salle, on rencontre l’un des ancêtres, surnommé le Vieux Señor de Sipán. Mise à jour en 1990 dans la même pyramide funéraire, mais cinq niveaux en dessous du Señor de Sipán, cette dépouille royale s’avère elle aussi richement parée. Et sous son masque funéraire, on découvre un massif ornement nasal, de nombreux colliers en or finement stylisés, illustrés par exemple de figures félines, symboles de pouvoir et de dignité. Pour finir la visite, nous sommes conviés à une cérémonie. Des mannequins, revêtus de leurs plus beaux atours, s’animent au son d’une flûte et d’ocarina. La civilisation moche reprend vie, l’espace d’un instant, avec magnificence. Et bientôt, le visiteur se retrouvera sous le soleil éblouissant du Pérou, gardant le sentiment d’avoir remonté le temps. Pour commencer la visite, il faut se rendre à Lambayeque, dans la province du même nom, à près de 800 km au nord de Lima. Le musée s’y dresse avec sa structure sculpturale et flamboyante. Inspiré des pyramides tronquées des Moche, le bâtiment pourpre et or de trois étages s’apparente à un ancien temple dans lequel on pénètre par une large rampe d’accès.

Un peuple de bâtisseurs

Les mains dans le dos, il baisse la tête. Il sait que la mort est proche, que bientôt on le décapitera. Le sang de ce prisonnier sera alors recueilli dans une coupe et exhibé à la foule réunie sur la place centrale. Le sang sera bu par le prêtre et quelques gouttes seront versées sur le sol, garantissant la fertilité pour le peuple Moche. À la lisière de la ville de Trujillo, à 570 km au nord de Lima, la Huaca de la Luna est l’une des plus célèbres pyramides Moche. Ce centre funéraire et religieux fait face au centre administratif et commercial, la Huaca del Sol (Soleil). Entre les années 400 et 600, ces deux huacas (édifice religieux ou sacré) formaient la capitale de la civilisation Moche. La Huaca del Sol constitue à elle seule le plus grand édifice préhispanique d’Amérique du Sud avec ses 40 mètres de haut sur 340 mètres de long. Et malgré une destruction partielle, elle dévoile encore sa massive structure d’adobe réalisée avec 100 millions de briques de terre séchées au soleil. L’édification de pareils temples nécessitait une société hautement hiérarchisée ayant atteint un grand degré d’organisation. Comme en témoignent par ailleurs leurs célèbres céramiques, les Moche avaient atteint un grand développement architectural, artistique et technologique, n’ayant rien à envier aux Romains qui, au même moment, voyaient leur l’Empire s’effondrer en Europe.

La place des sacrifices

Le visiteur entre directement dans la Huaca de la Luna, par une petite ouverture, sur la place des sacrifices humains. Il y a 1500 ans, les rares personnes à y pénétrer utilisaient plutôt une large rampe d’accès qui les menait directement au sommet. Ce complexe architectural d’adobe comprend trois plates-formes et quatre places. À son apogée, la plate-forme principale mesurait 100 mètres de large sur les fronts nord et ouest. La façade nord revêt encore des murales polychromes dédiées à la plus grande divinité Moche, Ai Apaec –le « Degollador », littéralement le Coupeur de tête– qui était le Dieu des montagnes. Les fresques reprennent indéfiniment sa tête monstrueuse mais le représentent aussi entier, arborant un couteau dans une main et une tête décapitée dans l’autre. D’autres figures géométriques composent également des motifs à têtes d’oiseaux, de poissons ou de serpents stylisés. Cet édifice tel qu’on le voit aujourd’hui est le résultat de différentes constructions superposées, sur plus de 600 ans. Suivant un calendrier cérémonial, chaque vieux temple était enterré pour ériger à son sommet le nouveau, plus ample et plus élevé. Pour couvrir l’ancien temple et élever de nouveaux murs, il fallait des milliers de briques d’adobe. Cette corvée mobilisait des ouvriers des communautés proches. Chaque brique exhibait un signe distinct signifiant que la famille avait « payé » son tribut. À l’heure actuelle, on a découvert six édifices superposés cachant les sépultures d’une partie de l’élite qui gouvernait alors la ville et l’État Moche. Déjà, en 1899, l’archéologue allemand Max Uhle avait mis à jour, à proximité de l’enceinte, plus de 30 tombes. On lui doit beaucoup des connaissances acquises sur cette civilisation, ainsi qu’au Péruvien, Rafael Larco Hoyle.