Le Péruvien Mario Vargas Llosa est le condor de la littérature latino. Haut perché sur sa légende, il a la majesté d’un rapace et l’œil d’un visionnaire. Depuis près d’un demi-siècle, à égalité avec le Nobel Garcia Marquez, ce géant façonne une œuvre éblouissante, prophétique, qui est devenue un monument. Et qui est le flamboyant miroir d’un continent déchiré, explosif, baroque, paradoxal. De La Maison verte à Conversation à la Cathédrale, de La Tante Julia et le scribouillard à La Guerre de la fin du monde, Vargas Llosa n’aura cessé de survoler le destin de l’Amérique latine, ses illusions et ses espoirs, son amertume, ses légendes meurtries et ses rêves écrasés sous la botte des dictateurs. Tout ça entre deux flirts langoureux avec sa muse préférée, Madame Bovary, à laquelle il a consacré un livre divin – L’Orgie perpétuelle.

Qui est Vargas Llosa ?

Orphelin des révolutions manquées, éternel justicier aux allures de Cassandre, l’enfant chéri de Lima – naturalisé espagnol depuis 1993 – est aussi un intellectuel de terrain. Un homme-orchestre qui aura tâté à toutes les idéologies. Du guévarisme de ses débuts à sa conversion inattendue au thatchérisme, du tiers-mondisme au libéralisme, l’itinéraire de Vargas Llosa passe par l’engagement politique : le fondateur du mouvement Libertad n’a jamais craint de se salir les mains en se frottant à l’Histoire. Afin de réconcilier réalité et utopie. Un combat exemplaire, pour lequel il a perdu pas mal de plumes : lorsqu’en avril 1990, dans ses habits neufs de romancier-candidat, le charismatique Mario brigue la présidence en promettant le Pérou aux Péruviens, ceux-ci le renvoient poliment à ses chimères et à son écritoire.

Ce qu’il fit, en signant deux romans superbes. L’un très noir, Lituma dans les Andes, où il fustige les narcoterroristes du Sentier lumineux. L’autre très rose, Les Cahiers de don Rigoberto, où il célèbre les noces polissonnes de l’érotisme et du libertinage. Mais le militantisme le chatouille toujours : l’an dernier, ce mousquetaire est remonté au créneau pour soutenir la candidature d’Alejandro Toledo, le rival d’Alberto Fujimori à la présidentielle.

L’auteur des Enjeux de la liberté – le manifeste où il résume sa philosophie sociale – est donc un Janus tiraillé entre deux idéaux. Dr Vargas et Mr Llosa… D’un côté, la politique, qui est fille de la raison. De l’autre, la littérature, qui se nourrit de déraison. « Lorsque j’écris un roman, explique-t-il, je convoque l’irrationnel, les émotions, les instincts, tout ce qui se révèle incontrôlable et que Georges Bataille appelle notre part maudite. En revanche, quand je m’exprime sur des questions politiques, je tente de réprimer en moi les passions. Ce n’est pas toujours facile, mais je m’y emploie, car je pense que l’émergence de l’irrationnel en politique ne peut déboucher que sur la violence, alors qu’elle est souhaitable en littérature. Compte tenu de cette différence fondamentale, je ne crois pas que mon travail romanesque reflète mes idées politiques. » N’empêche, l’œuvre de Vargas Llosa reste solidement chevillée à l’Histoire.